Petit bonhomme de chemin

Jour 33

Le 03/08/11, 0:44

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Ce matin, je fais mon sac pour aller passer ma toute première nuit en montagne. J’avoue redouter quelque peu ce premier séjour au sein d’une communauté bénéficiaire de notre projet. Si les conditions matérielles sont à peu près semblables à ce que j’ai connu au Mexique l’hiver dernier, l’altitude est un facteur qui change la donne. J’ai vraiment peur de mourir de froid. Bref, je prépare mes affaires comme si je partais en expédition au Pôle Nord. J’ai un peu mauvaise conscience. En soi, mes appréhensions sont quelque peu mal venues de la part d’une volontaire dont le rôle est justement de faire la promotion de ces logements chez l’habitant.

Depuis deux ans déjà, la communauté de Misminay travaille dans le domaine du tourisme rural en partenariat avec les ONG RainForest et SNV et l’opérateur touristique Kondor Travel. En 2010, dans le cadre des formations données par RainForest, les membres de la communauté s’étaient rendus visiter un autre projet de tourisme rural dans le petit village de Infierno, non loin de Puerto Maldonado dans le district de Madre de Dios (dans la forêt amazonienne). Cette année, les habitants de Misminay rendent la politesse à leurs amis d’Infierno. C’est l’occasion pour eux de faire la démonstration de tous leurs acquis et progrès depuis la mise en place du projet en 2009.

Buenaventura, le leader du groupe impliqué dans le projet de tourisme rural, participe aussi à notre programme de formation qui est, selon lui, une excellente opportunité de maintenir à jour ses connaissances dans le domaine. Il nous a aimablement invités à nous joindre à l’évènement. Pour nous, c’est l’occasion de nous faire de nouveaux contacts, d’apprendre et de profiter de l’expérience d’autres ONG déjà impliquées dans le tourisme rural. Pour cette raison, nous passerons deux jours à Misminay. Pour la première journée, nous serons accompagnés d’un petit groupe d’étudiants suivant notre programme de formation.




Nous arrivons vers 10h00 du matin et sommes accueillis pour les membres de la communauté qui ont revêtu pour l’occasion leur costume traditionnel. Nous commençons notre programme par une session de discussions et de partages d’expériences dans le jardin aménagé devant l’ancienne salle communale reconvertie en « salon culturel ». Divers intervenants, habitants de Misminay ou d’Infierno, représentants de RainForest, exposent leur vécu au sein du projet. Après cette première conférence, on nous offre un petit encas, du fromage et un énorme plat de mote (d’énormes grains de maïs cuits à l’eau) encore tout chaud. Ensuite, on nous propose de visiter le salon culturel dont les murs sont décorés de divers panneaux présentant le projet, la communauté, son histoire, son artisanat, son milieu naturel, etc. De prime à bord, ce travail semble assez impressionnant. Erland me fait cependant remarquer qu’au-delà de l’aspect tape à l’œil, les informations ne sont pas nécessairement exactes.

Nos étudiants semblent enthousiasmés par le projet et ne tarissent pas de questions en tout genre. Ils désirent également visiter l’une ou l’autre maison « améliorée » dans l’objectif de recevoir des touristes. Ils veulent tout savoir, tout voir. A les voir, je suis envahie par une immense fierté.






Arrivent en fin de matinée, Aurelio, el Arquitecto Samuel et Neil. Après un petit moment, à mon grand étonnement, Neil demande pour intervenir auprès de nos étudiants pour faire une critique du projet de Misminay. Il explique à nos jeunes que ce qui s’est développé dans le village n’est qu’une option parmi tant d’autre et est loin d’être l’unique voie à suivre. Il les met en garde contre les nombreuses agences touristiques qui voudront leur faire croire que les touristes veulent absolument certaines normes de confort, un cabinet de toilette, etc. En effet, à Misminay, communauté où les problèmes d’approvisionnement en eau sont chroniques, Kondor Travel a convaincu les habitants d’installer pour leurs visiteurs des toilettes avec chasse d’eau alors que des toilettes sèches auraient tout à fait pu être suffisantes. Neil explique également que s’il est vrai que certains touristes recherchent une certaine commodité, d’autres, en quête d’une plus grande authenticité, vont fuir des lieux comme Misminay qui, en s’adaptant à une certaine demande touristique, perdent peu à peu leur âme. Il leur explique que s’ils veulent améliorer leurs habitations, ils doivent avant tout le faire pour eux et non pour les touristes. Moi à qui Neil n’avait pas particulièrement fait bonne impression au début, j’avoue porter sur lui un autre regard à présent. Il vient de faire une remontée en flèche dans mon estime en faisant l’écho du message que je serine depuis mon arrivée et peine à faire comprendre à mes collaborateurs.

Sur ces bonnes paroles, nous décidons d’emmener manger nos étudiants à Maras dans un petit « restaurant » où nous avons déjà nos habitudes. Pendant le repas, nous continuons de discuter du projet et de ce fameux concept d’authenticité. Faut-il par exemple absolument recevoir le touriste en costume traditionnel ? Cet habit qui n’est porté qu’en des occasions exceptionnelles ne devient-il pas alors un uniforme de travail et ne perd-il pas son sens ? Faut-il respecter les arts de la table occidentaux ou faut-il servir le voyageur selon les us et coutumes du lieu tout en les lui expliquant ? Après avoir laissé les jeunes à l’arrêt de bus, Erland et moi-même poursuivons ce débat sur la théâtralisation de la culture et les méfaits du tourisme. Le tourisme doit-il être un moyen ou une fin en soi ? Dans le cadre d’un tourisme viventiel, est-ce à la communauté de s’adapter au touriste ou l’inverse? Ces questions sont très délicates. Si nos opinions divergent sur certains points, nous sommes d’accord sur le fait que le tourisme est un outil à manipuler avec beaucoup de précautions et qu’il aura toujours des répercussions négatives. L’essentiel de notre travail consiste à en maximiser les bénéfices tout en minimisant les dégâts. Et ce ne pourra se faire qu’en mettant au cœur de notre action la préoccupation pour préservation de l’identité de nos bénéficiaires.

Lorsque nous sommes de retour au village, nous nous rendons compte que le repas de midi vient à peine d’être servi. Aïe... Même si nous sortons à peine de table, on ne va pas pouvoir échapper à ce deuxième festin. Quel comble, la cuisine est délicieuse, mais franchement, nous n’en pouvons plus.

Après le repas, le groupe de femmes artisanes du village nous convie à une présentation de tissage. Pendant que les derniers préparatifs se terminent, nous discutons avec Jaime une personne employée par RainForest pour travailler le thème de la récupération du patrimoine culturel au sein de la communauté. Il nous explique son parcours, son travail et l’importance particulière qu’il porte au patrimoine spirituel. Nous embrayons donc sur le thème des traditions et croyances. Au-détour de la conversation, j’apprends que le soi-disant costume traditionnel que portent nos hôtes n’a rien d’authentique. En effet, le vêtement traditionnel a disparu de la communauté depuis des décennies et des recherches sont en cours pour tenter de le rétablir. Celui que portent actuellement les habitants a été choisi par eux pour leur permettre de recevoir les visiteurs. Nous qui parlions, il y a quelques heures à peine, de la perte du sens des traditions lorsqu’elles deviennent un spectacle pour touristes...

La démonstration commence enfin. Les dames nous montrent comment elles filent la laine, la teignent à l’aide de pigments naturels puis la tissent. Elles nous expliquent que chaque étoffe est unique et a une signification particulière. Parfois, elle raconte même une histoire. Il faut un œil averti pour pouvoir en comprendre leur message.






L’atelier de tissage touche à sa fin et le jour commence à décliner. Nous commençons à nous préoccuper de notre logement pour la nuit. Erland part se renseigner et nous annonce que nous devrons dormir sous tente. Etant donné que Goyo et moi-même venons de lui faire une petite blague en lui planquant les clés de la camionnette, je crois d’abord à une vengeance bien légitime mais déchante en le voyant réellement chercher un terrain plat pour planter le campement. Il ne me reste plus qu’à faire contre mauvaise fortune bon cœur. Je commence à monter les arceaux. Heureusement, Buenaventura, mon sauveur, fait son apparition et nous annonce que nous pouvons finalement nous installer dans le salon culturel. Quel soulagement !

Nous avons ensuite droit à un temps libre. Nous en profitons pour discuter avec Buenaventura qui nous explique l’évolution du projet au sein de sa communauté. Vers 20h, on nous appelle pour le repas. La nuit est tombée et nous pouvons observer la plus belle merveille de Misminay, sa voute céleste. En effet, le village est un des endroits au monde où l’on peut observer le plus grand nombre de constellations.

Pendant le repas, les garçons sont plutôt d’humeur taquine. Ils croient me faire peur avec des histoires d’esprits malins, notamment celle du Macchu ou Socca Macchu, un esprit qui séduit les jeunes femmes célibataires ou qui se glisse dans le lit des femmes mariées en prenant les traits de leur mari pour leur donner un enfant hideux et déformé. Ils font également quelques allusions au fait que je risque de bien dormir ce soir entourée par deux hommes... S’ils savaient... Après avoir passé 5 ans dans une unité scoute presque essentiellement masculine, ce ne sont pas deux petits Péruviens, taillés comme des criquets de combat qui plus est, qui vont m’impressionner.

Le repas se poursuit par une veillée autour du feu. Chacun adresse un petit mot à l’assemblée. Il y a de la musique, des danses, des chants. On chique des feuilles de coca. Ce n’est pas vraiment bon mais ça a l’effet bizarre d’endormir légèrement la langue. La soirée se termine par une invocation aux apus, les esprits des montagnes sacrées, pour qu’ils réalisent les souhaits de chacun. Cela se fait à l’aide de 3 feuilles de coca que l’on jette dans le feu.



Il est l’heure d’aller au lit et « lit, il y aura » car une chambre s’est libérée in extrémis. Ça, c’est la bonne nouvelle de la soirée. J’ai tellement peur de souffrir du froid cette nuit que j’accumule les couches de vêtements et de couvertures. J’ai presque doublé de volume. A tel point que je n’arrive plus à me glisser dans mon sac de couchage. Goyo doit m’aider et me borde comme un
vrai bébé...

[ Voir les photos : Pérou - Cusco ]

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