Le 07/08/11, 0:12
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Pour une fois, pas de grasse mat’ dominicale. Nous allons aujourd’hui assister à la cérémonie du « Wata Qallari », «el pago a la pachamama » (soit, l’offrande à la mère terre) sur le site de Moray. Cette fête traditionnelle marque le début de l’année agricole.
Nous arrivons vers 11h sur le site où nous devons entrer en fraude. Hors de question de payer l’entrée alors que nous venons travailler. Heureusement, il n’est pas très difficile de resquiller. Les préparatifs vont déjà bon train. Plusieurs centaines de figurants revêtent leur tunique de diverses couleurs, jaune, vert, rouge. La plupart sont des jeunes gens. Les hommes et les femmes ont chacun un rôle spécifique. La majorité des jeunes hommes brandissent un drapeau. Les jeunes filles, elles, portent un accessoire tel un panier de maïs, un bouquet de fleur, une vasque d’encens. Dans ce paysage bigarré et cette multitude de costumes, un seul petit accessoire est le dénominateur commun de tous les participants : les sandales dorées.
Comme nous sommes arrivés à l’avance, j’ai tout mon temps pour prendre des photos. Vers 11h30, nous sommes priés de quitter l’un des 3 amphithéâtres qui tient lieu de coulisses pour rejoindre les hauteurs du site. Si ce point de vue nous offre une très bonne vision d’ensemble, la distance par rapport aux figurants est énorme. On ne peut que deviner certains détails de la cérémonie d’autant plus que toute la célébration se fait en Quechua. Ma compréhension du rite n’est donc que partielle. Heureusement, derrière moi, il y a un groupe de touristes accompagnés de leur guide. De temps à autres, je laisse traîner une oreille pour profiter des explications. D’entrée de jeu, la guide précise notamment que bien qu’il y ait beaucoup de touristes présents aujourd’hui, il ne s’agit en rien d’un spectacle à leur attention mais d’une véritable manifestation culturelle qui a lieu chaque année et revêt un sens sacré aux yeux des populations locales.
La célébration commence enfin. Tout d’abord un groupe d’une dizaine de musiciens fait son entrée sur le site et s’avance jusqu’au cœur de l’amphithéâtre. Il est suivi de loin par les jeunes filles qui marchent en file indienne et se postent en retrait, sur des terrasses en bordure de la zone. Un commentateur donne des explications en Quechua. Apparaissent ensuite des porteurs de drapeaux vêtus de jaune. Leur bannière n’est autre que le drapeau aux couleurs arc-en-ciel qui représentait à l’époque le Tawantin Suyu (nom donné au territoire Inca) et qui a été adopté dans les années 50 comme étendard par la ville de Cusco. D’autres porteurs de drapeaux, habillés de rouge cette fois, entrent dans l’arène. En raison de la distance, je ne peux à ce moment l’assurer avec certitude mais il me semble que tous les participants dansent au rythme des tambours. Arrivent ensuite le dernier groupe de porteurs de drapeaux qui arborent une tunique verte.
La troupe de porteurs de drapeaux étant au complet, tous se mettent à nouveau en mouvement et font le tour de l’amphithéâtre en courant. Les demoiselles, qui sont restées à leur poste un peu à l’écart, s’approchent également en dansant. Par le passé, ces jeunes filles étaient des princesses incas. Se présente ensuite un groupe de prêtres.
A ce moment, presque tous les balcons de l’amphithéâtre sont occupés. La vue d’ensemble est impressionnante : des couleurs de toute part, des centaines de figurants effectuant leur danse dans un cadre qui, en soi, est déjà époustouflant. Les nouveaux arrivants se placent à chaque fois plus près du centre du site.
L’Inca, ou l’Empereur, ferme la procession accompagné de notables. Ce sont les alcaldes (les maires) des districts avoisinants qui jouent ce rôle de courtisans. Le costume des aristocrates diffère des tuniques unies du petit peuple. Leur toge, plus longue, complique la progression des acteurs dont certains chutent dans les escaliers. L’Inca, lui, se déplace sur une chaise à porteurs. A son arrivée au centre de l’amphithéâtre, tous se prosternent. Il prend la parole et invoque l’esprit des montagnes sacrées puis celui de la pachamama. A l’issue de la prière, les six alcaldes s’approchent et remettent des offrandes aux prêtres. Du moins, c’est l’impression que cela donne de loin...
Tous les figurants se redressent et les danses reprennent de plus belle pour quelques instants puis le silence se fait à nouveau. L’Inca reprend son discours et invite les alcades à procéder au pago à la pachamama en plaçant des offrandes sur un bûcher.
Après l’offrande, les porteurs de drapeau et les princesses se déplacent à nouveau sur les terrasses circulaires. Les alcaldes se retirent et laissent les prêtres et l’Inca au centre de l’arène. Ce dernier se met à haranguer les figurants représentant les peuples des régions d’Urubamba, Maras, Ollentaytambo, Yucay... Tous répondent par des cris de liesse. L’Inca fait couler sur le sol quelques gouttes de ce qui me semble être une coupe de chicha. Tous portent ensuite les mains au ciel au moment où l’on met le feu au bûcher.
La cérémonie touche à sa fin. L’Inca s’en retourne mais continue à exhorter les foules sur son chemin. Peu à peu, les notables, puis le petit peuple quittent également le site. D’après ce qu’Erland m’expliquera par la suite, chacun retourne chez soi pour effectuer une nouvelle offrande sur la montagne sacrée à proximité de sa communauté. Cette offrande doit absolument se faire avant le prochain lever de soleil.
Nous prenons le chemin du retour et rencontrons en route un ancien compagnon d’université d’Erland. Il est en train d’établir un diagnostic touristique pour le district de Maras. Décidemment, j’ai l’impression que c’est le cas de tout le monde ici... Ce diagnostic a été commandé par le plan COPESCO, une initiative gouvernementale visant à développer les régions présentant un intérêt touristique (et qui paradoxalement sont souvent les plus pauvres du pays). L’idée est de vérifier la durabilité de la construction d’une nouvelle route à la lueur des indicateurs touristiques dans la région. La bonne nouvelle est que nous allons pouvoir profiter de façon non-officielle de l’information. Mais je me demande parfois à quoi cela rime tous ces diagnostics. Une chose est sûre, tout le pays concentre son énergie vers son développement touristique considéré comme la panacée à tous les problèmes. Est-ce vraiment le cas ? J’ai l’impression que dans ce « tout au tourisme », beaucoup n’ont pas conscience ou ignorent qu’ils marchent sur des œufs. Le tourisme n’est pas l’industrie sans fumée que l’on avait vantée il y a quelques décennies. Il peut comporter de nombreux effets négatifs parfois irréversibles. Mais les gains immédiats et apparemment faciles l’emportent souvent sur une prise en compte des dégâts à moyen et